Capsule d’information 11 : L’ésotérisme pour soigner ?

Thérapies complémentaires, médecine douce, alternative etc. sont réunies dans ces capsules sous l’intitulé générique Pratiques Non Conventionnelles (PNC), expression que j’utiliserai désormais.

Dans les précédentes capsules d’information consacrées à l’ésotérisme, j’ai abordé le vocabulaire, les caractéristiques, les pièges associés ainsi que ses liens avec la science. Je vous invite à les lire avant de vous engager dans les liens avec les PNC.

Vous aurez remarqué que dans ces premières capsules, j’ai pu parler d’ésotérisme sans parler de santé. C’est que l’ésotérisme est avant tout un discours philosophique, voire théologique. C’est la branche descriptive de l’ésotérisme, traditionnellement appelée spéculative. Il y a aussi l’ésotérisme dit opératif avec les pratiques généralement associées que sont la magie, l’alchimie, l’astrologie et la médecine occulte.

Et c’est là que le terrain commence à devenir glissant. Il ne s’agit plus de proposer une vision du monde. Maintenant on invoque, on appelle, on convoque et on interprète l’action de forces invisibles (si tant qu’elles existent !) pour ensuite donner des conseils, des recommandations voire des prescriptions.

Je présente les notions de preuves et d’efficacité dans la capsule consacrée à l’ésotérisme et la science. Il s’agit de réflexions d’ordre épistémologique (avant de conclure “c’est pas prouvé”) qui ne seront donc pas reprises ici. L’objectif de cette capsule est de présenter les conséquences de la pensée ésotérique dans les soins, quelle que soit l’approche.

Durant mes études universitaires de psychologie, je me suis intéressé à l’ésotérisme sous toutes ses formes par le biais de mon mémoire sur la synchronicité, un travail purement théorique (j’y reviendrai plus bas). C’est en cherchant quels étaient les développements actuels que le domaine du soin et des PNC est apparu. D’un enthousiasme initial je suis passé par la déception et l’agacement et je vous propose une liste d’observations personnelles que j’ai effectuées au fil de mes rencontres, lectures et expériences cliniques.

Aspects médiatiques

Les médias parlent beaucoup du regain d’intérêt pour l’ésotérisme, les sciences occultes ou la sorcellerie. En réalité, il n’y a pas de regain d’intérêt. Ésotérisme et institutions officielles ont toujours coexisté. Que l’on parle de retour de la religion, de la spiritualité ou de l’ésotérisme comme d’une régression est un constat scientiste qui veut que “la progression de la science doit conduire à la disparition de la religion, des croyances et de l’irrationalité” (Karbovnik, p. 16).

La confusion est également courante entre les thérapeutes et les pratiques associées. Là aussi, on peut lire régulièrement dans la presse des mises en garde contre certaines pratiques supposément dangereuses alors que ce sont les personnes et les actes qui sont condamnables, pas les croyances et les pratiques (J’en parle ici). Si vous pensez que les PNC se résument à des gourous qui prétendent guérir de toutes les maladies en vous incitant à ne plus croire la médecine officielle, sachez que vous avez un regard partiel de ces pratiques.

Confusion entre savoir et thérapie

L’exemple type de confusion entre savoir et thérapie est l’hypnose. Partant de l’hypothèse de réincarnation, on l’associe à une technique de soin : l’hypnose régressive, avec laquelle il serait possible de revivre ses incarnations précédentes. D’un savoir on en induit une capacité, une possibilité de soigner. Si la théorie de la réincarnation est un sujet qui doit s’étudier comme n’importe quel autre, certains praticiens n’hésitent pas à jouer aux apprentis sorciers en s’engageant dans des prises en charge pour le moins hasardeuses.

Un autre exemple de confusion entre savoir et thérapie est celui de la divination. Tarot, astrologie numérologie sont très populaires au sein des PNC. Or, le but de la divination n’est pas de soigner (but thérapeutique) mais de savoir (but heuristique). Force est de constater qu’elle est plutôt utilisée pour soulager des inquiétudes au lieu de donner des pistes pour mieux comprendre le sens à donner aux événements.

Sur les réseaux sociaux, je vois passer régulièrement des propositions de tirage de tarot gratuits. Il vous suffit de laisser en commentaire le numéro de la carte de votre choix pour avoir droit à une analyse. Et les résultats sont tout simplement ma-giques. C’est qu’avec la divination au XXIe siècle, les oracles sont toujours sympas, c’est merveilleux !

Au passage, la divination est une excellente technique pour faire mousser les algorithmes des réseaux sociaux en augmentant les interactions : commentaires, partages, “likes”. Du point de vue marketing, c’est du pain béni.

On en arrive à un ésotérisme dégénéré qui va appliquer au sens strict la pratique des correspondances (J’en parle ici). Or, rien n’autorise à penser que cette pratique est à même de soigner. Avec les sciences de la nature, on a tous les outils pour répondre aux problèmes courants (analyses de laboratoires, radios, scanners etc.). Utilisons-les. C’est rapide, les résultats sont précis, ils peuvent être lus par différents professionnels qui discutent entre eux et non en travaillant seuls dans leur coin à méditer sur le thème astral du prochain client.

Utiliser les correspondances pour travailler sur la subjectivité, pourquoi pas. Et encore, pas avec des personnes en demande d’aide. Ce n’est pas le moment, nous le verrons ci-dessous. En revanche, l’utiliser pour diagnostiquer un problème somatique (corporel), non merci.

Ne pas griller les étapes

Il peut être malvenu, avec certains patients, de partir trop vite dans des discussions d’ordre spirituelles. La célèbre pyramide des besoins permet de visualiser cette progression.

Elle est attribuée au psychologue Abraham Maslow, bien que lui-même ne l’ait jamais dessinée. Il a en revanche présenté une hiérarchie des besoins dans un article de 1943. Remaniée, améliorée et critiquée, je trouve que cette pyramide illustre très bien ce bond dangereux.

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Notez que Maslow a inspiré la naissance de la psychologie transpersonnelle, courant de psychologie qui mériterait un article à lui seul tant il a influencé la culture dite New Age. Comme son nom l’indique, elle va chercher à dépasser les limites habituelles de la personnalité par des états de conscience non pas modifiés, mais élargis. J’y reviendrai plus bas en ce qui concerne les approches psychocorporelles.

Revenons à sa pyramide. Nous voyons qu’au-dessus de nos besoins physiologiques, psychologiques et sociaux se situe la dimension transcendante. La transcendance, c’est ce qui nous dépasse, qui ne vient pas de nous-même mais d’un autre plan de réalité. Un sujet bien plus captivant que de régler les impératifs et petits tracas du quotidien. Pourtant, il faut les avoir réglés avant de se pencher sur l’ésotérisme car l’utiliser en premier recours est un leurre.

Or, beaucoup de personnes se tournent vers l’ésotérisme pour de mauvaises raisons. En effet, si on s’y tourne en ayant une plainte (à visée thérapeutique) plutôt qu’un questionnement (à visée philosophique, existentiel, spirituel) alors on sera confronté au charabia confus de la loi d’attraction, du taux vibratoire, des travailleurs de lumière, des annales akashiques… Tout est bon à prendre tant que c’est alternatif au discours officiel. Je les appelle les bigots New-Age.

Il suffit de parcourir leur histoire de vie pour s’en rendre compte. Généralement très bavardes sur leur site Internet, vous lirez souvent un parcours familial et professionnel standard, principalement dans le domaine technico-commercial, puis un événement marquant survient (maladie, séparation, burn-out, deuil) et le domaine du soin s’ouvre à elles telle une révélation. Elles semblent avoir passé un peu vite les étapes de la pyramide de Maslow. Des préoccupations bien terre-à-terre d’ordre psychologique (principalement des symptômes anxieux et/ou dépressifs) sont encore à régler mais plutôt que d’y faire face, elles esquivent en passant par l’ésotérisme. Appelées par une “mission de vie”, elles croient bon de faire profiter au plus grand nombre leur découverte et se mettent à proposer des soins sans avoir jamais mis les pieds dans une institution médicale.

Je comprends cet élan à s’ouvrir vers l’autre pour aider, surtout si on a passé par ce chemin (c’est l’image du guérisseur-blessé), il est plein de bonnes intentions. Mais après cette courte pause émotionnelle, remettons les pieds sur terre : un stage clinique remet les pendules à l’heure. Il permet de réaliser à quel point le processus de soin est complexe et ne se réduit pas aux bonnes intentions. Si la médecine classique a tout intérêt à mieux comprendre les PNC, ces dernières doivent également connaître les impératifs du système classique, et ça passe par une expérience clinique en milieu institutionnel.

Faire de la psycho sans (se) l’avouer

Il y a beaucoup de psychologie dans les PNC mais le sujet n’est pas évoqué explicitement. Du côté des psychologues, le sujet des PNC n’est pas la priorité alors que le champ d’action est pourtant similaire : dépression, angoisse, deuil, burn-out…

En revanche, les éléments de langage des PNC sont moins confrontants : des expressions telles que harmonisation ou rééquilibrage énergétique sont moins stigmatisantes que “trouble psychiatrique”, d’où la question : ces approches marchent-elles sur les plates-bandes des psychothérapeutes ?

En principe, les thérapeutes sont conscients de leur champ de compétences : ils apaisent, réduisent, soutiennent, soulagent, activent, accompagnent mais ne prétendent généralement pas soigner. La mention que leurs prestations ne remplacent pas une consultation médicale sont également assez courantes. Bien évidemment, vous trouverez toujours des thérapeutes qui vont clairement dénigrer la médecine officielle tout en déplorant que les PNC ne sont pas reconnues à leur juste valeur. C’est agaçant.

J’ai également eu des témoignages de psychologues m’indiquant avoir à réparer les pots cassés d’un suivi en PNC. Des personnes ayant trop tardé à consulter se retrouvent en décompensation à l’hôpital. Le retard de prise en charge peut avoir de graves conséquences si les symptômes prodromiques d’un trouble ne sont pas détectés à temps, avec le risque qu’il s’installe durablement et devienne chronique. Toutes ces conséquences, les thérapeutes en PNC n’en sont pas informés, puisqu’ils travaillent généralement en indépendant, en vase clos, sans participer à la coordination des soins.

Dans le fond, si les PNC peuvent offrir une première écoute à des personnes en demande d’aide, c’est plutôt bienvenu. C’est une première étape pour “prendre soin de soi” comme on dit, et quel que soit l’état de santé d’ailleurs. C’est que les PNC vont aussi revendiquer la réparation des pots cassés de la médecine classique. Après les soins du corps viennent ceux de l’âme. Deux aspects différents chez une même personne. Maintenant, reste à s’assurer que les praticiens sont suffisamment formés pour détecter des situations qui pourraient leur échapper et d’avoir le déclic de déléguer vers un professionnel de santé spécialisé.

Lier quantitatif et qualitatif

Dans nos sociétés actuelles, l’organisation des systèmes de santé permet au plus grand nombre d’avoir accès aux soins, même si l’on n’est pas en capacité de les payer : imaginez le coût total d’une jambe cassée. Pour pouvoir en bénéficier, il faut passer par la case administrative : prescriptions, analyses, diagnostic, caisse maladie…

Au bout d’un moment, le patient en a assez de tous ces rendez-vous, ces ordonnances, ces fiches à remplir, ces certificats médicaux à transmettre, ces différents spécialistes à consulter. Il aimerait avoir contact avec un être humain, ressentir de l’émotion, de la spontanéité, de l’écoute. Une jambe cassée pour un sédentaire qui travaille dans un bureau, ce n’est pas bien grave. Une jambe cassée pour la personne qui avait de grands espoirs de devenir sportif professionnel représente une situation bien différente. Du point de vue quantitatif, la situation est pourtant identique.

Confrontées à un parcours de soins trop impersonnels, un nombre toujours plus important de patients rapportent avoir recours aux PNC. Par ailleurs, certaines problématiques peuvent paraître surprenantes et marginales au premier abord et peinent à obtenir une écoute attentive : questionnement spirituel, expérience de vie après la mort, sorties hors du corps, contact avec un défunt… Se pose alors la question des pratiques alternatives telles que les médiums ou les guérisseurs.

Dans ce sens, les acteurs des PNC ont une sensibilité beaucoup plus prononcée pour répondre aux interrogations des patients ayant vécu ce type d’expérience. Leur savoir-être est souvent plus naturel et spontané que l’empathie apprise sur les bancs de l’université. Il est perçu par les patients comme plus humain et moins caché derrière les batterie de tests, avec l’impression d’avoir en face des “techniciens de l’écoute” sans réelle empathie spontanée.

Le savoir-faire s’apprend. Le savoir-être aussi, mais dans une moindre mesure. Vous pouvez y mettre toute l’énergie que vous voulez, une certaine spontanéité initiale est nécessaire sinon il y a quelque chose qui manque. C’est un peu comme le musicien qui n’est pas dans le rythme : il peut connaître par cœur tous les solos d’Iron Maiden, ça ne collera pas avec le reste. Tout est juste mais il manque l’essentiel. On a le rythme dans la peau, ou pas.

Il y a un réel manque de formation des professions de santé pour ce type de vécu et le discours actuel de la psychologie ne fournit pas de réponses satisfaisantes à ces questions particulières. Si le sujet paraît marginal, tous les patients portent avec eux ces questionnements.

Mais la réalité est ailleurs : face à la quantité de demandes, la priorité c’est faire un rapport au médecin, à l’assurance, à l’enseignant, à l’autorité de tutelle, pour un arrêt de travail, le versement d’une indemnité, un saut de classe, la nomination d’un curateur. Il y a plus urgent que de trouver son animal totem. Les professions de santé sont au front, sous tension constante, il y a l’état de crise à gérer avant de passer à d’autres sujets.

L’aspect quantitatif dans les soins c’est aussi ce qui fait “tenir la baraque” pour organiser, planifier, facturer, être payé et se faire rembourser. Il s’agit de faire vite et d’avoir facilement le matériel nécessaire car il y a du monde. On n’imagine pas l’importance du secrétariat médical, c’est l’oracle de l’hôpital : il sait tout.

Alors quand j’entends sur les ondes de la RTS le médecin Pierre-Yves Rodondi, l’homme-sandwich de la médecine intégrative en Suisse, appelant à former tous les médecins à l’écoute, j’estime que c’est une fausse bonne idée. En effet, la médecine intégrative se présente comme la combinaison de pratiques conventionnelles et complémentaires pour une prise en charge globale de la personne. C’est l’approche dite “holistique”. Toutefois, elle ne peut en revendiquer ni l’exclusivité ni la nouveauté.

Le parcours classique de soins est déjà pluridisciplinaire, on parle désormais de modèle bio-psycho-social. Le terme est moins sexy que holistique, je vous l’accorde, mais ça existe. Le médecin n’est pas seul dans la course : il y a les physiothérapeutes, soins infirmiers, pharmaciens, psychothérapeutes, diététiciens… Le seul élément manquant est la dimension spirituelle, trop souvent absente dans le prise en charge des patients.

Spiritualité signifie discussions sur des aspects ésotériques, c’est-à-dire tout ce que j’ai présenté dans les précédentes capsules. En Suisse, aucune des institutions actives dans la médecine intégrative n’ose ouvrir publiquement et officiellement le grand livre de l’ésotérisme. Il est préférable de ne pas aborder ce sujet, histoire de conserver une crédibilité. Si le terme holistique revient régulièrement, l’ésotérisme est quant à lui… absent, comme évité.

Un autre argument mis en avant est que les patients sont demandeurs de thérapies complémentaires. En effet, il y a bien une demande et c’est la raison pour laquelle je propose d’intégrer officiellement l’astrologie dans les approches de la médecine intégrative car, pour l’avoir pratiquée pendant un certain nombre d’années (j’en parle ici), je peux vous assurer que la demande est là et que le succès sera au rendez-vous. Bizarrement, ma proposition remporte peu de succès.

Pour ces raisons, la médecine dite intégrative m’apparaît plus comme une médecine cumulative. En apparence, il y a la volonté de passer à un nouveau paradigme, une nouvelle conception du soin mais en réalité elle utilise les mêmes schémas de pratique du système conventionnel. Chacune des approches va appeler à un pluralisme médical alors qu’en fait elles morcellent le domaine, s’occupant de promouvoir sa propre approche holistique, ajoutant ainsi de l’huile dans l’engrenage de la confusion..

Il ne faut pas attendre des acteurs de la médecine intégrative une réflexion sur la nature et les fondements théoriques des PNC. Le discours est lisse, les éléments de langage savamment choisis, les recherches respectent les protocoles scientifiques, les études sont publiées dans des revues à comité de lecture, p est inférieur à 0.05, les effets cliniques sont visibles, la pratique est appliquée comme il faut, le cadre légal est respecté, la demande est là et l’offre aussi. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes comme dirait Leibniz.

Le débat est donc clos. Si vous avez des critiques, elles sont stériles car vous n’avez pas été initié à telle ou telle pratique traditionnelle et vous n’y connaissez rien. Pour en savoir plus : formez-vous et dans notre école de préférence, avec une approche novatrice et holistique basée sur une tradition deux fois millénaire mais qui est en fait la synthèse de tout ce que vous avez vu jusqu’à présent et qui tient vraiment compte du patient.

On a parfois l’impression que chacune de ces approches revendique une sorte d’exclusivité en affirmant avoir retrouvé un savoir perdu permettant d’aller vraiment aux sources de la maladie, ce que les autres approches ne feraient pas. Derrière la bienveillance de façade se déroule une guerre féroce. C’est un peu comme dans les pubs de lessive des années 80 qui “lavent plus blanc que blanc”. C’est fatiguant.

Cette injonction constante au qualitatif, culpabiliser certaines spécialités médicales qui ne seraient pas assez à l’écoute, c’est maladroit et malvenu. C’est ni l’endroit ni le moment. L’anesthésiste que vous consultez avant votre hospitalisation n’est pas là pour écouter vos problèmes familiaux, professionnels ou sentimentaux. En tant que patient vous êtes unique, mais vous n’êtes pas l’unique à être unique. Donc : “merci, belle journée, j’ai un autre patient unique qui m’attend”.

Il faut respecter ce vivre ensemble et faire le tri entre qualitatif et quantitatif car, même si on le rejette, nous vivons dans un monde ultra technique, spécialisé et compartimenté, dans tous les domaines de la vie. Alors quand j’entends ces belles paroles nous invitant à retrouver une vie simple, en harmonie avec la nature et en accord avec une quelconque tradition, ça me fait doucement sourire. Veuillez excuser mon pessimisme.

Si vous voulez coller à la Tradition, la vraie, celle d’il y a très longtemps et qui vient de très très loin, vous prenez tout ce que vous pouvez dans votre sac à dos et vous partez vous planquer quelque part en vous débrouillant pour produire votre abri, votre alimentation, votre énergie, vos soins. Vous m’en direz des nouvelles, mais pas par e-mail, puisque vous n’aurez pas Internet. Sortir complètement du circuit économique et social de nos jours est impossible.

Il faut faire avec le quantitatif, c’est le prix à payer pour avoir un accès garanti pour tous aux soins. Si les PNC amènent les professions classiques à s’interroger sur le savoir-être, les professions classiques amènent un savoir-faire que les PNC ont tort de mépriser, voire de rejeter.

Ainsi, l’ésotérisme fait office de caisse de résonance face à une déception de tout ce qui provient du corps médical officiel et le personnel soignant dans son ensemble représente ce conformisme institutionnel. À l’extrême, il peut amener à une attitude de rébellion et de contestation avec le risque de rejeter toutes données médicales provenant d’un organisme officiel ou gouvernemental (j’en parle ici). Les PNC jouent le rôle de soupape face à un système de santé saturé et ne répondant parfois pas aux préoccupations des patients. Elles se sont appropriées le champ du “donner du sens” ou herméneutique (j’en parle ici), ce qui est une bouffée d’air après un parcours de soins compliqué.

L’enfer est pavé de bonnes intentions

Il y a une aura de mystère chez le thérapeute qui soigne par une (des) méthode(s) dont les origines proviennent d’un autre plan de réalité (révélation – transcendance). Le risque est de créer une relation déséquilibrée entre un thérapeute qui jouit d’un savoir secret et un patient béat d’admiration. C’est une fausse alliance thérapeutique qu’il s’agit d’éviter absolument.

Durant mes quelques années de pratique clinique, on nous rendait attentifs à désamorcer la croyance des patients en la baguette magique qu’auraient les psychologues pour résoudre tous les problèmes. Il faut que le praticien en soit conscient ((re)connaître ses propres limites) et que le patient le comprenne (connaître les limites du système de santé). C’est ainsi que se définit l’orientation du soin : en co-construction avec le patient.

Dans le discours des PNC, j’observe également des injonctions permanentes au bien-être : il faut constamment se ressourcer, se recentrer, à croire que les acteurs mêmes de ces pratiques sont en thérapie perpétuelle. Tous les actes du quotidien doivent être faits “en conscience” ce qui peut amener vers une quête excessive du bien-être et une inutile culpabilisation. Le plus détestable, c’est que derrière ces injonctions, il y a toujours quelque chose à vendre : livre, séminaire, initiation, nouvelles clés de compréhension, gélules, bibilles, hydrolats, caillou, grigri de protection… Et c’est toujours nouveau. Ça se base sur une tradition ancestrale mais c’est nouveau quand même.
Et c’est pénible.
Les thérapeutes donnent parfois l’impression d’être des commerciaux qui s’ignorent.

Le Mal a dit

Rien n’arrive par hasard. Il y a des signes partout, cachés, déguisés, cryptés, ce qui nous amène à la synchronicité, hypothèse développée par le psychiatre Carl Gustav Jung. Selon lui, les événements en général sont associés soit directement en chaînes causales soit par une sorte de lien transversal, de l’ordre du sens (Jung, p. 29). Il n’en faut pas plus pour donner au patient en quête de comprendre sa souffrance le prétexte d’accepter toutes sortes d’interprétations, même les plus farfelues, du moment qu’elles donnent du sens à sa maladie.

Voir des synchronicités là où il n’y en a pas s’observe régulièrement sur les réseaux sociaux, avec les publications sponsorisées. Vous savez, ces comptes qui ne font pas partie de vos abonnements mais qui apparaissent tout de même sur votre fil d’actualité. Ce sont des comptes qui ont payé le réseau social pour apparaître sur votre fil car vous correspondez au public cible. Vous regardez des vidéos de musique : voilà une pub pour vous annoncer un festival pas loin de chez vous.

Les thérapeutes utilisent massivement ce moyen pour se faire connaître et vous n’imaginez pas le nombre de commentaires que je vois de personnes se sentant personnellement visées par une publicité qui propose un nouveau soin énergétique pour vous aider à passer le cap de cette transition énergétique difficile où on se sent déprimé : “Synchronicité ! c’est exactement ce que je vis en ce moment !” C’est la magie des algorithmes.

Il n’y a qu’un pas pour retrouver la synchronicité comme caractéristique de l’idée délirante répertoriée dans le fameux manuel diagnostic des troubles mentaux (DSM-IV), l’ouvrage de référence de la psychiatrie : “le sujet croit que certains gestes, commentaires, passages d’un livre, journaux, chants lyriques, ou autres signaux de l’environnement s’adressent spécifiquement à lui ou à elle”.

Une certaine prudence est à adopter avec la synchronicité et l’usage des symboles et correspondances, afin de ne pas griller les étapes de la pyramide de Maslow. Dans une certaine mesure, l’hypothèse que tout est lié tient la route : nous l’avons vu avec la théorie du chaos présentée ici. Dans le domaine du soin, le risque est de supposer l’origine psychologique de toutes les maladies : vos émotions sont à l’origine de votre mal. Par exemple, pour le médecin naturiste Paul Carton, les lois morales influent sur la santé (in Bernard, p. 312) et je dois avouer qu’un nombre important de représentants de l’ésotérisme ont cette même supposition de l’importance de l’aspect moral dans l’apparition des maladies. Or, les données médicales vont plutôt dans le sens d’un origine multi-factorielle (environnement physique et social, dysfonctions corporelles, hérédité…) d’où la difficulté – et la nécessité – à coordonner les soins.

Cette supposition peut générer d’une part un sentiment de culpabilité (je suis responsable de … vous ne suivez pas le protocole… vous n’êtes pas prêt) ou au contraire un sentiment de déculpabilisation (c’est la fatalité, le karma, le signe astrologique, je n’y peux rien).

Les approches psycho-corporelles

L’hypothèse d’un effet du mental sur le corps est le point à la fois le plus obscur, le plus controversé et le plus passionnant du débat sur le bien-fondé des PNC. Nous sommes ici dans le domaine complexe de la psychosomatique, c’est-à-dire la relation entre le corps et l’esprit que j’ai déjà abordée dans la capsule consacrée à la science.

Les approches psychocorporelles me semblent être les plus pertinentes et prometteuses à la fois pour évaluer une effet sur la santé et clarifier la dynamique entre le corps et l’esprit. Elles donnent d’abord la parole au corps du patient afin de ressentir l’évènement par sa seule sensorialité, en essayant d’exclure le plus longtemps possible toute mentalisation.

Une perspective audacieuse est donnée par la psychologie transpersonnelle que j’ai évoquée plus haut avec Abraham Maslow. Une autre figure importante de ce mouvement est Stanislav Grof. De part ses propres expériences avec le LSD puis l’élaboration de sa technique de respiration dite holotropique (comparable à de l’hyperventilation, ne pas s’y lancer sans une présence médicale) et l’état de transe, tous les ingrédients sont là pour influencer la pop culture des années 70.

Ce courant a poussé au plus loin la réflexion entre corps et esprit jusqu’à soutenir que “l’individu a le sentiment que sa conscience s’étend bien au-delà des limites habituelles de son ego ainsi que de celles du temps et de l’espace” (Grof, p. 52). On rejoint ici la réflexion de l’anthropologie constructiviste que j’ai abordée ici.

Grof relève que les techniques traditionnelles telles que les procédés respiratoires, le chant, les percussions, les danses monotones, la surcharge sensorielle, l’isolation sociale et sensorielle, le jeûne et la privation de sommeil provoque des états non ordinaires de conscience similaires au substances psychédéliques (Grof, p. 9). C’est ainsi qu’il va élaborer sa méthode de respiration, pour remplacer l’usage de substances: “Elle combine d’une manière particulière la respiration contrôlée, la musique et d’autres types de technologie sonore, un travail sur le corps concentré et des mandalas” (Grof, p.11).

Mais Grof n’est pas le seul à avoir élaboré une technique psychocorporelle. En réalité, cette classe d’approche comporte un nombre considérables d’appellations différentes, comme si chaque acteur pensait avoir trouvé la vraie technique d’harmonisation du corps et de l’esprit.

Vous trouverez notamment le Training autogène de Schultz, la psychotonique de De Ajuriaguerra qui donnera naissance à la psychomotricité, l’Eutonie Gerda Alexander, la Sophrologie de Caycedo, l’Emotional Freedom Technique (EFT), la Somatic Experiencing….

La plus populaire de ces approches (de nos jours, 2023) est la Mindfulness. Attention : ce n’est pas de la méditation. C’est de la méditation de pleine conscience, rien à voir avec la méditation transcendantale, ce vieux truc de hippie ringard au terme trop compliqué. Quant à l’hypnose, c’est trop connoté manipulation.

Donc, pour se démarquer de la concurrence, un nouveau mot est inventé et il a déjà été rebaptisé Mc Mindfulness en milieu anglophone pour dénoncer l’immense machinerie marketing qui consiste, en fin de compte, à vendre du vieux parfum dans un flacon neuf.

Parmi la jungle de toutes ces approches, la respiration est LA porte d’entrée universelle pour éprouver ce ressenti. Tous les livres sur le sujet ne valent rien face à l’expérience. Par exemple, si vous voulez savoir ce qu’est l’hypnose, la meilleure façon est de faire une séance et ça commence par inspirer par le nez et expirer par la bouche. Ne faire que ça sans penser à rien : vous n’y arriverez pas plus que quelques secondes les premières fois. C’est un entraînement comme un autre. Plus vous pratiquez et plus les effets sur la gestion des émotions se feront sentir.

Quant au contenu de votre méditation, libre à vous d’être en pleine conscience ou ailleurs, inutile d’en faire une marque déposée, comme par exemple la Respiration Globale©, que je viens d’inventer et qui consiste à inspirer ET expirer. Si vous faites les deux, vous êtes dans la globalité et désormais vous me devez des sous.

Fondamentalement, il n’y a pas de différence entre la Quatrième Voie de Gurdjieff, la Mindfulness de Kabat-Zinn et ma Respiration Globale©. Chacun vend son produit dans un contexte donné. À titre d’illustration, voici une séance de Mindfulness avant l’œuvre décrite par Pauwels, qui fut l’un des disciples de Gurdjieff. Il raconte :

“Prenez une montre, nous disait-on, et regardez la grande aiguille en essayant de garder la perception de vous-même et de vous concentrer sur la pensée : “Je suis Louis Pauwels et je suis ici en ce moment”. Essayez de ne penser qu’à cela, suivez simplement les mouvements de la grande aiguille en restant conscient de vous-même, de votre nom, de votre existence et de l’endroit où vous êtes” (Pauwels & Bergier, p. 466).

D’un côté le gourou, de l’autre le scientifique. Reste à déterminer lequel est le gourou, lequel est le scientifique. Pour cela, je vous laisse choisir.

Conclusion

Nier l’influence de l’ésotérisme dans les PNC que ce soit du côté des acteurs de ces pratiques qui cherchent à coller aux standards scientifiques que provenant des sceptiques qui le réduise à une dangereuse “pensée magique”, c’est retirer au soin sa dimension existentielle, spirituelle et les questionnement métaphysiques que tous les patients portent en eux. Plus on le repousse, plus il revient en force. Il est nécessaire de tenir compte de ces dimensions de la même manière que les facteurs sociaux, économiques, familiaux habituellement évalués.

Hurler au loup lorsqu’un patient rapporte consulter un guérisseur, c’est le dénigrer dans ses choix thérapeutiques et lui retirer une partie de sa personnalité. Au contraire, les soignants doivent se renseigner comme pour n’importe quelle autre profession de santé, dans une attitude d’ouverture et de non jugement.

À travers ces capsules, vous aurez compris que l’ésotérisme pour invoquer l’esprit d’Apollonius de Tyane (c’est ce qu’affirme avoir fait Eliphas Lévi), j’y crois moyennement, veuillez excuser mon scepticisme. Quoique je ne peux exclure la réalité du phénomène. Le sujet mérite que l’on s’y attarde mais avec la confusion générée par les acteurs même des PNC, c’est l’expression de tracas psychologiques que j’observe, non l’apparition de la transcendance. Le monde contemporain de l’ésotérisme est… décevant.

En revanche, l’ésotérisme comme aide à l’imagination et à la création artistique, là je souscrit. Et je dirai même dans le domaine scientifique car il permet de formuler des hypothèses audacieuses, quitte à les abandonner par la suite.

Mon but ici n’est pas de dire que l’ésotérisme c’est “bien” ou “vrai” ou encore “efficace” mais que c’est d’abord de la philosophie, de l’anthropologie, de la psychologie et de la théologie, domaines totalement absents du débat sur les PNC et dont aucun organisme officiel représentant la médecine intégrative en Suisse n’est capable d’aborder.

Si j’arrive à faire comprendre qu’une réflexion pluridisciplinaire sur ce vaste domaine qu’est l’ésotérisme est au moins nécessaire dans les discussions autour des PNC, alors mon but sera atteint. Le champ de la santé dépasse le domaine médical et paramédical, ce qui rejoint la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour qui la santé est un “état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité”. Tout le monde est d’accord avec cette définition mais dans l’application, ça pose de nombreux problèmes. L’apport des sciences de l’esprit dans les débats apporte un regard plus humain, plus nuancé, distant, désintéressé et critique.

Se plonger dans l’ésotérisme c’est grisant, fascinant, inspirant, effrayant, déroutant et c’est pour toutes ces raisons que, comme Riffard, je ne parviens pas à m’intéresser à autre chose.

Références

Bernard, Léo (2021) Hippocrate initié : Courants ésotériques et holisme médical en France durant l’entre-deux-guerres. Thèse de doctorat de l’Université PSL, École doctorale de l’École Pratique des Hautes Études.

Diagnostic and statistical manual of mental disorders : DSM-IV. (1994). Washington, DC :American Psychiatric Association.

Grof, Stanislav (1986) Les nouvelles dimensions de la conscience. Paris : Editions du Rocher.

Jung, Carl Gustav (1988) Synchronicité et Paracelsica. Paris : Albin Michel (1ère éd. 1952).

Karbovnik, Damien (2017) L’ésotérisme grand public : le Réalisme Fantastique et sa réception. Contribution à une sociologie de l’occulture. Université de Montpellier 3 : thèse de doctorat, Sociologie, sous la direction de Renard, Jean-Bruno.

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