10 questions sur le cadre légal
des thérapies complémentaires
en Suisse

publication le 6 juillet 2025

Introduction

Durant le mois d’octobre 2022 j’ai posé 10 questions à diverses institutions et services juridiques quant aux règles régissant l’exercice des thérapies complémentaires en Suisse.

Voici les institutions contactées :
- Institut du Droit de la santé à Neuchâtel
- Ombudsman Valais
- Pro Mente Sana


Ainsi que les institutions professionnelles concernées par le diplôme fédéral en thérapie complémentaire et en naturopathie que sont:
l’OrTra MA,
l’OrTra TC,
l’ASCA
le RME

NOTE : Si vous ne connaissez rien aux abréviations du cadre légal en Suisse, je vous invite à lire ou écouter la capsule d’information que j’ai réalisée à ce sujet

La plupart - et les meilleures - réponses que j’ai obtenues viennent du service juridique de Pro Mente Sana (ci-après “PMS”). Celles-ci clarifient bien la différence qu’il existe entre le domaine juridique et scientifique. C’est en quelque sorte une leçon de savoir-vivre, vous verrez.

L’Institut du droit de la santé m’indique que mes questions “devraient faire l’objet d’un avis de droit complet”, ce qui représente environ 30 heures de travail pour ensuite rédiger un “avis de droit d’intérêt général”.

Comme il s’agit de questions qui ne concernent pas directement les activités de formation du centre Psybay, je suis un peu réticent à l'idée de financer ce travail par le seul apport du centre. Si une institution est intéressée à participer au financement, n’hésitez pas à prendre contact !

Les autres institutions me renvoient vers les services des médecins cantonaux ou vers les associations professionnelles respectives. Mon avis est que les institutions telles que l’OrTra, qui ont participé à l’élaboration du cadre légal actuel, auraient dû faire ce travail en amont.

Voici donc les questions que j'ai posée avec les réponses reçues. J’y ai ajouté également quelques commentaires.
Question 1
Dans quelle mesure le SEFRI est compétent pour décider des conditions d’exercice de professions désormais reconnus officiellement dans le domaine de la santé. N’est-ce pas le travail de l’OFSP, comme pour les médecins et les psychologues ?

Réponse 1
Pas de réponse claire mais PMS rappelle que le processus qui a permis à 5 médecines complémentaires d’être intégrées dans la LAMal est le suivant: “Il s’agit-il de compromis politiques, donc de démocratie et pas de science”. 

Commentaire
Pour rappel, l’acceptation des 5 médecines complémentaires dans l’assurance de base devait satisfaire aux 3 critères que sont l’efficacité, l’adéquation et l’économicité, comme pour toutes méthodes de soin. Les preuves formelles d’efficacité n’ayant pas pu être démontrées, c’est le principe de confiance qui a été préféré. Je le détaille ici (https://www.psybay.ch/2021/07/19/capsule-dinformation-06-cadre-legal-des-therapies-complementaires-en-suisse/).

Et je pense que c’est là le point CAPITAL qui provoque beaucoup de confusion à l’heure actuelle : comme le relève PMS, ce sont les règles de la démocratie qui s’appliquent, pas celles de la science. En effet, il y a plusieurs acteurs impliqués : les institutions de santé bien entendu mais il faut faire aussi avec les milieux économiques, politiques, la voix des patients et le peuple qui vote.

Ces négociations sont bien présentées dans un article de Heidi-News: Dans cet interview, le Dr. Philippe Eggimann rappelle que la notion de “consensus scientifique” repose parfois sur un simple consensus d'experts : 

“je pense qu’on est très loin, dans toutes les prestations financées par l’assurance maladie, d’avoir des critères d’efficacité fermes”. 

Tous les domaines scientifiques semblent touchés, mais c’est avec les thérapies complémentaires que les débats sont les plus houleux, d’autant qu’ils débordent dans l'espace public : tout le monde expose son avis plus ou moins éclairé sur ces pratiques. Le principe de confiance participe à la bonne relation entre les soignants et les patients. A nouveau, les données de la science peuvent parfois passer au second plan : l'alliance thérapeutique a tendance à tordre le cou aux protocoles de soins.    

Je comprends bien qu’un scientifique qui passe ses journées au laboratoire à chercher la preuve objective de l’efficacité d’un traitement s'étonne que des techniques qui ne sont pas formellement prouvées soient tout de même reconnues et remboursées par l’assurance maladie. C’est qu’il existe une vie en dehors du laboratoire : La Vie, qui ne peut être résumée une relation de cause à effets. 
Question 2
Puisqu’il s’agit de diplômes fédéraux, existe-t-il un moyen d’obtenir un canevas du contenu des formations reconnues pour l’obtention du diplôme ?

Réponse 2 
L’OrTra MA me transmets le document résumant le Profil professionnel de Naturopathe avec Diplôme fédéral   

Commentaire
L’OrTra MA ne répond pas réellement à ma demande puisque le contenu des cours n’y figure pas. Seules des indications générales décrivant le profil professionnel des naturopathes sont disponibles. L’OrTta MA me renvoie également aux multiples écoles de formation existant en Suisse. 
Question 3
Les thérapeutes qui s'illustrent pour leur propos vaccino-sceptiques peuvent-ils être inquiétés par la justice ?

Réponse 3
PMS : “Les propos vaccino-sceptiques relèvent de la liberté d’expression et trouvent ainsi leur limite dans le code pénal.”   

Commentaire
A nouveau, c’est la démocratie qui parle : le vivre ensemble et non la science.
Question 4
Y-a-t-il un risque à nommer publiquement des approches supposées “dangereuses” ou "sectaires" ?

Réponse 4
PMS : “En signalant publiquement une pratique comme douteuse vous pouvez commettre une atteinte à la personnalité ou, dans le champ pénal, une diffamation.”   

Commentaire
Je ne suis pas partisan pour dénoncer telle ou telle approche telles que le Reiki ou la Naturopathie. Elles ne présentent pas de risque en soi. En revanche, les thérapeutes agissent parfois de manière douteuse. Rejeter en bloc ces pratiques c’est jeter le bébé avec l’eau du bain et c’est ainsi que des "lanceurs d'alerte” prétendant révéler la dangerosité de telle pratique sont remis à leur place par la justice, ce qui provoque l'incompréhension des uns et les applaudissements des autres…
Question 5
Quel cadre juridique en Suisse pour identifier des pratiques commerciales trompeuses ? En effet, nombreux sont les thérapeutes qui ont des revendications thérapeutiques bien au-delà du raisonnable. Par exemple, de l’hypnose pour maigrir ou la prise en charge de dépression, anxiété, burn-out ou encore du deuil, sans avoir de formation ni expérience en milieu institutionnel dans ce domaine.

Réponse 5
PMS : “La LMI, loi sur le marché intérieur, permet en gros à toute personne qui a le droit d’exercer une profession dans un canton ou un pays de l’UE de faire de même sans entraves en Suisse dans chaque canton” (Référence à consulter ici
PMS poursuit : “A ce titre, les charlatans reconnus dans un endroit peuvent pratiquer librement dans un autre. Nous sommes dans un état libéral où tout ce qui n’est pas expressément interdit est permis ; [...] il s’ensuit que diverses pratiques de soins, que l’intérêt public ne commande pas d’interdire, peuvent fleurir sans avoir à se justifier scientifiquement.

Commentaire
A nouveau, c’est le droit qui permet d’agir, pas la science. 
Question 6
De même, les mots “thérapie” et “soins” peuvent-ils être rendus contraignants du point de vue juridique, dans le même sens que dorénavant le titre de psychologue et l’exercice de la psychothérapie sont protégés ? Faut-il passer par le monde politique pour amener un changement de loi (dépôt d’une motion, amendement… ) ?

Réponse 6
Aucune réponse des institutions.

Commentaire
J’imagine que cette question serait pertinente pour un avis de droit. 
Question 7
Un des points les plus surprenants est la  possibilité offerte aux détenteurs du diplôme fédéral de naturopathe OrTra MA d’établir un diagnostic médical.  L'établissement d'un "diagnostic" et/ou "médical" n’est-il pas réservé aux seuls médecins ? Par ailleurs : quelle pertinence du diagnostic ? Quelle reconnaissance auprès des autorités médicales, assurances etc. ?

Réponse 7
Aucune réponse.

Commentaire
C’est également sur ce point qu’il serait intéressant d’avoir une étude plus approfondie.
Question 8
Dans le même ordre d'idée, un thérapeute (donc ne possédant pas le diplôme fédéral de naturopathe OrTra MA) est-il en droit de proposer des “bilans de santé” sans être professionnel de santé ?

Réponse 8
Aucune réponse. 
Question 9
Puisque les naturopathes sont reconnus comme professionnels de santé, ont-ils toujours le droit de faire de la publicité ou de proposer des promotions ou rabais ou encore des concours pour gagner des séances de thérapies? Un cadre légal similaire existe t'il pour les thérapeutes labellisés ASCA / RME ?

Réponse 9
Réponse de l’OrTra MA :  La publicité pour les patients est autorisée pour les naturopathes dans le même cadre que pour les médecins.  Pas de réponses des autres institutions.

Commentaire
Si les médecins ne font pas de campagne marketing, c’est qu’ils savent que soins et promotions commerciales ne font pas bon ménage. Faire de la publicité pour du bien-être est acceptable. En revanche, lorsqu’il y a une demande d’aide, la démarche marketing demande un engagement qui n’a rien de thérapeutique : c’est inutile et ça peut interférer avec le suivi.
Question 10 
J’entends souvent l’argument provenant de parents : "Je soigne mes enfants avec l'homéopathie". Or, je comprends que cela peut s’apparenter à de l’automédication. Les parents peuvent-ils être tenus pour responsables en cas d’absence de consultations chez le pédiatre et de complications d’une affection bénigne (p. ex. otite) ?   

Réponse 10
PMS : “Les parents éduquent leurs enfants comme ils l’entendent, tant qu’ils ne portent pas atteinte à leur développement au sens de l’article 307 du code civil”.   

Commentaire
Je n’ai absolument jamais compris comment, en tant que parent, on peut prétendre “soigner” son enfant. On est attentif à son développement, on y participe mais s’il y a des signes inquiétants il est nécessaire de consulter un médecin et d'éviter de jouer à l’apprenti sorcier.

Conclusion

Au final c'est le vivre ensemble qu'il faut retenir ici. Et si la médecine conventionnelle est ce qu'elle est, c'est avant tout pour répondre à un besoin QUANTITATIF :

Dans notre petite bulle occidentale, lorsqu’il y a une urgence de santé, dans les 30 minutes maximum une ambulance est là pour aller à l’hôpital et éviter un drame. Pour tout le monde. A tout moment. C’est magnifique. Mais il y a un prix à payer.

On promeut sans cesse l’importance de l’approche qualitative en santé et surtout son manque, notamment l’écoute du patient. Le problème ne vient pas des médecins, psychologues, soins infirmiers et toutes les autres professions de santé car elles font tout leur possible pour faire “tenir la baraque” dans un environnement sous tension constante. Il s’agit d’un problème de société qui nous invite à réfléchir sur le vivre ensemble.

Vous l’aurez compris, ça passe par la loi et non par la science.
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